Accompagner en présence

Norbert Macia – lundi 29 avril 2013 – Coaching   


Accompagner en présence

Nous employons et faisons très régulièrement référence à des mots, sans parfois même discerner les nuances, leur emploi excessif et répétitif en société ou dans les médias, le sens même des mots employés.

Un mot uniquement employé à tout bout de champ, pour désigner n’importe quel type d’expérience ou de réalité est un mot qui s’alourdit, se remplit à outrance, se déforme et se déverse dans tous les discours, au point de perdre toute signification et toutes possibilités d’ouverture pour la pensée.

La pensée alors bégaye : dans les métiers de l’accompagnement et de la relation d’aide, nous nous devons d’être vigilants.

Les mots font les discours et les discours disent ce que nous sommes ou disent ce que nous voulons faire croire que nous sommes, c’est-à-dire ce que nous ne sommes pas en vérité.

Ils n’en revêtent pas moins la même importance en regard de la présence.

Pour ne pas se perdre dans l’illusionnisme, il est ainsi vital – dans toute situation de coaching, d’être très attentif à la notion de présence.

Qu’est-ce que accompagner en présence ?

L’étymologie du mot nous renvoie à « praesens », « praesentis », « praesse » : c’est-à-dire « être en avant ».

« Être présent », c’est donc être là où l’on est.

Mais, c’est aussi être depuis l’endroit d’où nous sommes, et parlons, en apparition pour les autres et le monde, comme à l’avant de soi.

C’est en cela que « présence » signifie « être en avant », être comme un phénomène apparent.

D’un point de vue un peu plus clinique, cela signifie que je peux être là, devant vous, vous tenir un discours alors même qu’il se dégagera de ma présence, par ma présence, quelque chose de toute autre nature que le message que véhicule mon discours.

La présence est importante car elle donne accès à un fond par la voie même de la forme : l’apparaître.

C’est ce qui se montre à voir, ou plutôt à percevoir.

L’analyse de la présence suppose donc d’aborder une personne comme une totalité qui ne peut être ni parcellarisée, ni typologisée, ni atomisée.

La présence englobe bien plus que ce qu’elle comprend et contient : regard, visage, corps, voix, respiration, rythmes, déplacements, énergie, parole, actes (…).

Tout ce qui se montre à voir, se montre dans une totalité et une tonalité qui toujours nous affecte, c’est-à-dire nous touche, d’une manière ou d’une autre.

Accompagner en présence et langage.

Les mots sont alors en charge de dire quelque chose de ce qui est dit ou non-dit, ils prennent en charge et participent à la présence et au don de l’autre envers nous, et réciproquement.

En ce sens, comme pour le visage chez Levinas, ils responsabilisent leurs auteurs dans et par leurs actes.

Nous devons donc connaître les mots, afin que le langage lorsqu’il est manifeste, car le silence parle aussi de lui-même, nous guide dans l’exploration de cette présence à l’autre et son possible accord, sa possibilité de rencontre.

Pour le philosophe Martin Heidegger, le fait de parler revêt une importance fondamentale. C’est un « existential » tout comme le fait de comprendre.

« La manière dont le Dasein [L’homme] se comprend en étant disposé s’exprime dans le parler qui est fondement ontologico-existential de la parole. En d’autres termes, il ne s’agit pas de poser une intériorité qui s’extériorise, mais de voir que le langage est d’abord une possibilité d’être du Dasein coextensive à la disposition et au comprendre tels qu’ils viennent à la parole dans le parler. Si en parlant le Dasein s’exprime, ce n’est pas parce qu’il est un intérieur séparé d’un extérieur, mais parce que, comprenant son être-au-monde il est toujours déjà dehors [Présence], l’exprimé n’étant que le mode d’extériorité de la disposition comme ouverture.» (in Le vocabulaire de Martin Heidegger, Jean-Marie Vaysse, Collection Vocabulaire de Φ, Éditions Ellipses, Paris, 2000.)

Accompagner en présence et parole.

La parole est alors au parler ce que le voir est au percevoir. 

Ainsi, le mot « joie » caractérise une des tonalités de la présence singulière alors que « bonheur » (mot-valise) est une généreuse abstraction collective.

Quelqu’un d’« heureux » manifestera, c’est-à-dire donnera à voir, de la joie d’être et de vivre, non du bonheur qui, lui, servira à une interprétation possible de cette manifestation de joie.

Peut-être notre contemporain respirera-t-il le bonheur comme il respire l’air ambiant, mais ce qui se donnera à voir sera la joie, tout comme la respiration.

Ce qui caractérise la joie -en présence- est une forme de surenchère, de débordement, bulle spéculative, car la joie se vit au jour d’un présent exposant tourné toujours vers l’avenir, vers un horizon.

Si nous demandons à une personne pourquoi elle est heureuse et joyeuse, si nous lui demandons de se justifier, nous noterons immédiatement que sa joie diminue d’un ton.

Il s’agit de la redescente et du contact avec le sol.

En philosophie, Spinoza traduit le sentiment de joie en termes d’augmentation et de perfection :

« Par Joie (Laetitia), j’entendrai donc dans la suite la passion par laquelle l’esprit passe à une perfection plus grande ; par Tristesse (Tristitia), au contraire, la passion par laquelle il passe à une perfection moindre. » (in L’Éthique, Baruch Spinoza, Œuvres complètes, La Pléiade, Paris, Gallimard, 1954).

Accompagner en présence signifie donc être responsable de ce que l’on est au moment où l’on est, de ce que l’on dit, de ce que l’on ne dit pas, de ce que l’on perçoit, en présence d’un tiers ; et ce toujours sans perdre de vue sa demande ou ce pourquoi il est là au moment où il est : au présent._

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