Coaching et sciences humaines

Norbert Macia – jeudi 13 décembre 2012 – Sciences Humaines   


Coaching et sciences humaines

Du coaching aux sciences humaines, des sciences humaines à l’Homme.

Voici une question qui devrait concerner tout coach, tout accompagnateur ou tout professionnel de la relation d’aide : de quel champ anthropologique provient ma pratique et à quel courant de pensée fait-elle référence ?

Coaching et sciences humaines.

Lors de conversations avec certains confrères, il m’arrive parfois, tout en les écoutant me parler de leur métier, de leur demander ou de me demander à moi-même si, ils ou elles, sont au fait des origines anthropologiques de leur pratique et à quelles conceptions fondatrices de l’Homme ces pratiques font écho ?

Faire du coaching, c’est accompagner une personne (ou un groupe de personnes, une équipe) à partir d’une certaine posture professionnelle, un savoir, des outils etc, etc…

Mais c’est aussi avoir une approche de l’Humain, c’est-à-dire une « considération » de l’autre dans son abord, à partir de notre propre connaissance,vision et horizon de la question humaine.

Si nous discutons et que vous me dîtes que vous êtes un « coach P.N.L », ou un « coach Systémique », je serais tenté de vous demander si vous savez à quelles conceptions de l’Homme renvoient la Programmation Neuro-linguistique ou la Systémique.

Car, si nous travaillons sur l’ »élément humain », il convient bien  de connaître à partir de quoi nous travaillons pour comprendre comment et pourquoi nous travaillons de telle ou telle façon.

Voici donc trois exemples, trois conceptions de l’Homme qui m’ont fortement influencé et modelé dans ce qui est aujourd’hui ma pratique et mon approche du coaching et sciences humaines.

Freud et la psychanalyse, ou une conception de l’ « Homme-Nature » ou « Homme-Pulsion ».

La psychanalyse est une discipline clinique de l’exploration des phénomènes inconscients mise au point par Sigmund Freud (1856-1939), médecin-neurologue, dans le cadre de ses recherches en médecine, à partir des travaux sur l’hystérie et l’hypnose de Jean-Martin Charcot (1825-1893), fondateur, avec Guillaume Duchenne, de la neurologie moderne.

La psychanalyse propose trois grands axes de réflexion :

  1. Un corpus de théories issues de l’expérience analytique participant à l’élaboration de l’appareil psychique.
  2. Une méthode d’investigation des états psychiques.
  3. La cure psychanalytique qui, utilisant le processus de la libre association d’idées, s’intéressera progressivement au « désir inconscient à l’œuvre dans la condition humaine ».

A noter, toutefois, que la pratique de la psychanalyse par Freud semblait être quelque peu différente de ce que sa théorie -au sens stricte- préconise.

Au sujet de cet « écart existentiel », le lecteur avisé pourra se reporter au livre du psychiatre suisse Médard Boss (Psychanalyse et analytique du Dasein, Médard Boss, Éditions Vrin, Collection Bibliothèque des textes philosophiques, Paris, 2007) ou Roger Muchielli :

« Dans Les voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique, Freud écrit : « Nous donnons le nom de psychanalyse au travail qui consiste à ramener jusqu’au conscient du malade, des éléments psychiques refoulés », et dans la page qui suit, il donne la fameuse analogie entre psychanalyse et analyse chimique : « Nous avons analysé le malade, c’est-à-dire que nous avons décomposé son activité psychique en ses parties constituantes, pour ensuite isoler chacun des éléments instinctuels ». (in Analyse existentielle et psychothérapie phénoméno-struturale, Roger Muchielli, Éditions Dessart, Collection Psychologie et Sciences Humaines, Bruxelles, 1967).

Freud invente donc, au cœur des sciences humaines, un mode opératoire qui n’est pas sans rappeler le travail du chimiste en laboratoire, consistant dans l’isolation des diverses composantes d’un ensemble dans le but d’établir un diagnostic précis.

C’est aussi dans l’analyse des différentes manifestations du Ça, prises isolément, (lapsus, actes manqués…) via le médium du Moi et les expressions du Sur-Moi, que Freud définira la pathologie dont est atteint le « patient-homme » qu’il aura devant lui, et requalifiera ainsi ce dernier.

Il s’agit d’une nouvelle conception de l’Homme comprise, d’une part, entre le joug de l’inconscient, l’empreinte de la pulsion naturelle et, d’autre part, la relation entre patient et psychanalyste._

La clinique rogérienne ou une conception de l’ « Homme-Holistique » ou « Homme-Affects ».

Carl Rogers (1902-1987) publie son œuvre maîtresse sous forme de recueil de textes, Le développement de la personne (Le développement de la personne, Carl Rogers, Dunod-InterEditions, Paris, 2005), entre 1951 et 1961.

De formation théologique puis psychologique, il prendra ses distances avec la psychanalyse et le béhaviorisme pour forger sa propre approche, fondée sur les sciences humaines, la « non-directivité » et la « centration sur la personne ».

Les deux mots clés du titre de son ouvrage renvoient à une idée de « développement » qui « implique un processus orienté vers la croissance », ainsi qu’à « personne » qui suppose une « idée de globalité ».

L’Homme est pensé de manière holistique, non séparable, non programmable.

Ce regard holistique est également teinté d’optimisme (growth forces), puisque Rogers par du principe que:

« L’individu est fondamentalement digne de confiance et qu’il possède en lui les ressources nécessaires à son développement ».

L’hypothèse centrale de Rogers est qu’il existe, dans l’être humain, une tendance naturelle à l’actualisation : c’est à dire un « double processus de croissance » différenciant, d’une part, le développement organique et fonctionnel de la personne, et d’autre part, l’intégration des expériences vécues.

De fait, Rogers pense:

«Qu’apprendre par soi-même vaut mieux qu’accumuler des connaissances. (…) l’expérience personnelle est « l’autorité suprême », elle est à la base de l’apprentissage. »

Ce processus de croissance est entravé dès que les sollicitations de l’environnement proche (famille, relations sociales et professionnelles…) viennent s’opposer à la croissance de l’individu.

Il y a alors une contradiction entre l’intégration des expériences vécues et les réponses du milieu extérieur qui vont solliciter abusivement le Moi de la personne et rompre son unité.

C’est ainsi que prend forme, selon Rogers, la pathologie mentale.

L’objectif de la thérapeutique rogérienne est donc de relancer le processus d’actualisation de la personne, au travers d’une « attitude facilitante », chaleureuse et empathique de la part du thérapeute.

La mise en place par le thérapeute, au travers du processus d’actualisation, d’une « écoute inconditionnellement positive » va autoriser l’émergence « d’un sentiment d’acceptation profonde de soi chez le sujet. » C’est cette reconnaissance profonde de soi qui est au centre de la thérapie rogérienne, et qui vise donc une réunification de la personne.

Ainsi, le mode opératoire repose sur 3 conditions de base nécessaires et incontournables de la part du thérapeute :

  1. L’acceptation inconditionnelle de l’autre, qui pose la question de la maturité du thérapeute (Comment ne pas juger ? Comment créer un climat de confiance ? Comment éviter le piège de l’ambiguïté ? …).
  2. La congruence, (ou être dans l’authenticité relationnelle). C’est à dire capable d’être à tout moment au contact de ses sentiments profonds pour pouvoir être au plus près des sentiments de l’autre.
  3. L’empathie, c’est à dire être capable de « pénétrer dans le monde des perceptions, des sentiments, des représentations du client » afin d’en comprendre le fonctionnement et la logique interne.

A noter que Rogers n’utilise pas le terme « patient », ce dernier est remplacé par celui de « client ».

Ce point de détail est intéressant en termes de rapports à l’autre et au monde et, puisque les sciences humaines prolongent leurs extensions jusqu’à la linguistique, nous offre l’occasion du détour par les mots eux-mêmes.

Le terme « patient » provient du latin patiens, patientis, et dans son sens premier d’adjectif, caractérise une personne « qui a de la patience », « qui ne se lasse pas », « qui sait attendre ».

Dans son sens second de nom commun, cette même personne est celle « qui subit ou va subir une opération chirurgicale ; personne qui est l’objet d’un traitement, d’un examen médical.»

Le terme « client » provient, quant à lui, du latin cliens, clientis, ce qui dans son sens premier renvoie, dans l’antiquité romaine, au « Plébéien qui se mettait sous la protection d’un patricien appelé patron. »

Le Patricien étant, dans l’histoire romaine, une « personne qui appartenait, de part sa naissance, à la classe supérieure des citoyens romains, et jouissait de nombreuses prérogatives. »_

L’Analyse existentielle (Daseinsanalyse) ou une conception de l’ « Homme-Transcendantal » ou « Homme-Projet ».

La Daseinsanalyse est une pratique d’analyse existentielle.

Elle est, pour le philosophe Henri Maldiney :

« l’analyse des dimensions selon lesquelles un homme existe ».

Elle fut créée par Ludwig Binswanger (Psychiatre) et Roland Kuhn (Psychiatre) dans les années 40 à partir des travaux de la phénoménologie, plus particulièrement ceux de Edmond Husserl et Martin Heidegger.

« Le projet d’une phénoménologie, dit Binswanger, « comporte d’abord la volonté de renoncer à ce que Flaubert appelle la rage de conclure : il s’agit de renoncer à ce besoin passionné de tirer des conclusions, de se former une opinion, un jugement, besoin inscrit en nous par une formation intellectuelle unilatéralement naturaliste », car cette orientation intellectualiste a pour premier effet d’interdire la compréhension des phénomènes humains ». (in Analyse existentielle et psychothérapie phénoméno-struturale, Roger Muchielli, Éditions Dessart, Collection Psychologie et Sciences Humaines, Bruxelles, 1967)

La compréhension des phénomènes humains s’obtient, dans la Daseinsanalyse, par une approche de la réalité humaine entendue comme un être-ensemble (Mitsein).

Qu’est-ce que le concept de réalité-humaine englobe dans la proposition daseinsanalytique ?

Tout d’abord, une différence majeure qui est à la base de la pratique opératoire entre la notion de Moi freudien et la notion de Soi jungien. Cette dernière tend à être plus universalisante, de part son apparition dans le bouddhisme Zen.

Le Soi, contrairement au Moi, va de la nature à l’esprit, intègre des notions de forces vitales et cosmiques (également présentes dans la philosophie orientale) et fait appel aux concepts de re-naissance, de présence et de transcendance.

Réalité-humaine signifie donc « faire état et usage de sa propre présence dans le rapport à l’autre ».

L’Homme pris dans sa totalité, sa complexité, mais aussi pris dans ses possibilités en devenir, n’est ni séparable d’un Tout, ni dissociable intrinsèquement. C’est donc bien des dimensions du pouvoir-être dont la Daseinsanalyse s’occupe.

L’Analyse existentielle s’est forgée dans la phénoménologie qui, au travers de l’œuvre du  philosophe allemand Wilhelm Dilthey (1833-1911) trouve une proposition de compréhension des comportements humains non déterministe et non causale.

De sorte que, les comportements ne sont pas à relier au passé de l’individu mais bien au contexte vécu présent dans lequel celui-ci éprouve son quotidien.

« Comprendre par le contexte, laisser paraître le contexte, tout le contexte, pour saisir la signification de quelque aspect humain que ce soit, car la signification n’est pas dans la connaissance des causes mais dans la rapport à l’ensemble actuellement donné, qu’il s’agit d’abord de décrire. » (in Analyse existentielle et psychothérapie phénoméno-struturale, Roger Muchielli, Éditions Dessart, Collection Psychologie et Sciences Humaines, Bruxelles, 1967).

Mode opératoire descriptif, à contrario d’un processus explicatif, consistant à observer l’être humain dans son rapport à sa propre existence, son projet d’ « être » toujours et encore, en prise à l’angoisse existentielle et l’ultime impossibilité  de dépassement, d’ ex-sistere,  : sa propre fin.

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