Le coaching en pratique : regarder, voir, percevoir

Norbert Macia – mercredi 30 janvier 2013 – Coaching   


Le coaching en pratique : regarder, voir, percevoir, comprendre.

Pourquoi est-il important, dans le coaching en pratique, de savoir regarder, voir, percevoir ?

J’illustrerai cette question en introduisant le très bel échange, qui suit, entre les deux principaux protagonistes (Govinda et Siddhârta) du roman d’Hermann Hesse « Siddhârta ».

 « Quand on cherche, reprit Siddhârta, il arrive facilement que nos yeux ne voient pas l’objet de nos recherches ; ou ne trouve rien parce qu’ils sont inaccessibles à autre chose, parce qu’on ne songe toujours qu’à cet objet, parce qu’on s’est fixé un but à atteindre et qu’on est entièrement possédé par ce but. Qui dit chercheur dit avoir un but. Mais, trouver, c’est être libre. C’est être ouvert à tout, c’est n’avoir aucun but déterminé. Toi, vénérable, tu es peut-être en effet un chercheur ; mais le but que tu as devant les yeux et que tu essaies d’atteindre t’empêche justement de voir ce qui est tout proche de toi ». in Siddhârta, Hermann Hesse, Éditions Grasset, Collection Le livre de poche, Paris, 1950

Il y a entre regarder, voir et percevoir une différence d’intensité, de profondeur, une différence d’accessibilité et de compréhension.

Lorsque nous regardons cette fleur de Lotus, nous voyons bien ce qui est à voir, mais percevons beaucoup plus difficilement ce qui n’est pas, ou peu, offert à notre vue et à nos sens.

Nos sociétés contemporaines fonctionnent sur un mode visuel de surface, de superficialité, car dans les logiques de « tape-à-l’oeil »,  « trompe-l’œil », vitesse et de compulsivité, il n’y a pas de place , ou du moins pas assez de place, pour l’accès à la profondeur.

Telles sont nos manières d’habiter et vivre le monde, en particuliers dans nos grandes agglomérations.

Ces manières de vivre sont en fait des choix  que nous faisons, plus ou moins consciemment, qui sont ceux de la vitesse, de l’affairement et de la surface.

Le coaching en pratique et notre rapport au monde.

Ces choix déteignent sur notre personnalité, notre manière d’être, d’être avec les autres, d’être au monde.

Ces rapports au monde ont pour conséquences trois catégories de problèmes (dont nous autres coachs pouvons largement témoigner) rencontrés aussi bien  en entreprise que dans un contexte plus personnel ou familial  : les problèmes de communication, les problèmes de disponibilité, les problèmes d’engagement.

Il est aussi assez aisé de mettre en corrélation ces choix et leurs conséquences :

  1. L’excès de vitesse des échanges entre personnes engendrent des problèmes de communication car la compréhension (profonde) de l’autre requiert un ralentissement nécessaire (pour reprendre le très beau terme du philosophe Robert Misrahi) à l « accès à l’autre ». De la même façon nous avons également besoin de temps pour accéder à une connaissance approfondie des choses et des univers qui nous entourent, desquels peuvent naître (ou se perdre à jamais) des milliers de rapports et de connexions,
  2. L’affairement, souvenez-vous du sketch  de Raymond Devos,  « Où courent-ils ? » : « Je viens de traverser une ville où tout le monde courait … Je ne peux pas vous dire laquelle … je l’ai traversée en courant. Lorsque j’y suis entré, je marchais normalement. Mais quand j’ai vu que tout le monde courait … je me suis mis à courir comme tout le monde, sans raison ! (…) ». L’affairement ne nous rend disponible qu’à nos affaires, et ce d’une certaine façon, et totalement indisponible au reste du monde : les cadres et les entrepreneurs (entre autres)  connaissent très bien ce phénomène, il débouche tôt ou tard sur une impasse : le « burn-out »,
  3. La superficialité s’opposant à l’engagement, qui lui signifie que nous nous lions à certains choix de vie plutôt qu’à d’autres, qui reviendrait à choisir un chemin, le même chemin, quotidiennement, en pensant qu’il est le « bon chemin » pour nous. Ce choix, et cet approfondissement du choix, nécessite une sélection, faire des choix, car l’on ne peut approfondir toutes les voies simultanément. Combien de personnes souffrent aujourd’hui de l’incapacité de faire des choix dans leurs vies ?

 Le coaching en pratique et la métaphore de l’iceberg._

Nous avons, pareillement, le choix entre regarder, voir, percevoir, les autres et le monde, desquels nous participons.

J’essaie pour ma part, dans mon travail de coach et la pratique du coaching, de ne jamais me contenter de regarder ce qui est à voir car voilà bien l’attitude naturelle.

L’effort véritable consiste dans le « percevoir » ce qui est en présence pendant une séance de coaching.

Si l’on s’aide de la métaphore de l’iceberg, ce qui « est en présence » est une totalité qui se montre à nous, de la forme jusqu’au fond.

Je tiens à souligner que cette prise en compte du fond -au présent- d’une séance de coaching n’est pas un travail de psychothérapie.

« Fond », dans ce contexte, n’est pas synonyme de « passé » ou même « inconscient » et l’attitude du coach n’est pas celle du psychologue ou du thérapeute.

Il y a « fond » et à la fois « forme » en devenir, car comme le soulignait brillamment Victor Hugo :

« La forme, c’est le fond qui remonte à la surface. »

Bien évidemment, il faut être prudent, il y a les projections, il y a les interprétations hâtives, mais une attitude phénoménologique dans le coaching consiste, précisément, à « suspendre » les thèses en fonction pour se contenter de regarder, voir, percevoir, un tout qui se donne à voir et non une totalité tranchée en parties ou une totalité ancrée entre le passé et le présent.

Ainsi, un changement véritable peut s’opérer quand il y a « décloisonnement »,  « passage », « accès », à ces différents niveaux d’une totalité en présence.

Le regard phénoménologique du philosophe Martin Heidegger nous ouvre à cette perspective  existentielle :

« Existentiellement,  l’authenticité de l’être-soi-même est sans doute refermée et refoulée dans l’échéance, mais cette fermeture est seulement la privation d’une ouverture qui se manifeste phénoménalement dans le fait même de la fuite du Dasein [l’être-homme] devant lui-même. Dans le devant-quoi de la fuite, le Dasein se ‘’confronte’’ justement à lui ». in Être et Temps, Martin Heidegger, édition numérique, traduction Emmanuel Martineau, pp154-155

Proposition de traduction possible : il est, peut-être, une manière de ne pas s’accomplir soi-même, consistant à se conduire comme les autres dans « ce qui se fait », précisément parce que « c’est ce qui se fait », ou parce qu’« on à toujours fait comme ça », sans questionner ce que j’appelle les indéfinitudes, c’est-à-dire ces habitudes que l’on prend sous le mode indéfini et injonctif du « on ».

A procéder de cette façon, nous ne faisons que regarder les autres pour les copier, souvenons-nous de Raymond Devos…_

Le coaching en pratique et le processus._

Si l’accomplissement est un processus qui doit aboutir à une fin, à partir d’un état en cours, ce « devant-quoi » il en retourne est l’origine même de l’évitement de la conduite de soi (singulièrement) au travers de la conduite des autres et de soi comme les autres (mimétiquement).

En ce sens, et en ce sens phénoménologique singulier, l’évitement, la superficialité, l’indisponibilité ou la distraction caractériseront, dans un coaching, un refus ou une résistance à l’approfondissement d’un temps, une question, une présence : c’est-à-dire le temps et le l’espace de l’accomplissement de soi, de l’exploration de son rapport à soi et au monde.

Les personnes consultant les coachs expriment très fréquemment leur angoisse générée par leur mode de vie et la fuite de celle-ci dans l’affairement, la vitesse ou le divertissement.

Ceci peut conduire quelqu’un à améliorer et perfectionner ses propres moyens de contrôle sur l‘«extérieur », et peut aussi le laisser progressivement en « déchéance » intérieure, c’est-à-dire « sans abris » et sans moyens vis à vis de lui-même.

Regarder, voir, mais aussi percevoir, les êtres, les choses et le monde tel qu’il tourne et nous entoure peut contribuer, du moins ceci est ma croyance, à rééquilibrer un ensemble de quelque manière qu’il soit, un peu à la façon de penser propre à la philosophie chinoise, du yin – yang, où tout est complémentarité et mouvement.

Il y a beaucoup plus d’effectivités et de possibilités dans une observation attentive que dans un discours relevé.

Regarder, voir, percevoir : les artistes sont parfois des coachs hors-pairs, il en va parfois de même pour les philosophes.

« Modelant une tête, l’artiste semble ne reproduire que ce qui est superficiellement visible; en vérité, il donne figure à ce qui est proprement invisible, à savoir la manière dont cette tête regarde le monde, dont elle séjourne dans l’ouvert de l’espace, y est concernée par les hommes et les choses. » in Remarques sur art- sculpture – espace, Martin Heidegger, Éditions Payot & Rivages, Collection Petite Bibliothèque, Paris, 2009

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