Piloter un projet complexe

Norbert Macia – mardi 13 novembre 2012 – Projet   


« Piloter un projet complexe  » par Norbert Macia

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Piloter un projet complexe n’est jamais une chose aisée. Sans même y additionner la complexité, une des grandes difficultés de la notion de projet, réside dans le fait qu’elle peut tout aussi bien déterminer une idée précise, par exemple « J’ai un projet de voyage » ou « Je pars en voyage », comme des idées beaucoup plus floues mais néanmoins présentes et agissantes : « Avoir un projet », « Être en projet », « Penser projet »… D’une part, la compréhension est (quasi) instantanée, d’autre part, la pensée est en cours de chemin, s’élabore, à venir… mais elle revient aussi sur ses pas jusqu’à son point de départ, pour se mouvoir à nouveau. C’est le sens même de « réfléchir » : « un retour de la pensée sur elle-même ».

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Piloter un projet complexe

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On imagine donc assez bien que pour piloter son projet comme quelque chose d’abouti, « fixé », comme par exemple faire un château de cartes (il s’agit de dresser les cartes les unes sur les autres et ce jusqu’à l’impossibilité d’en dresser une dernière), ou bien, faire un puzzle (il s’agit alors de mettre en place les pièces, les unes après les autres, dans le bon sens, jusqu’à ne plus avoir à positionner de pièces), ce ne sera pas la même chose que piloter un projet en « mode évolutif ».

L’être humain change, se développe, il est le porteur du projet dont il est question et dont il est lui-même la question : que dois-je faire ? Le projet doit-il donc rester figé ou se développer de même que son porteur ? Combien de personnes ont le sentiment d’étouffer dans leur vie, d’être enfermées dans leur métier ?

D’un côté le processus est linéaire, de l’autre côté il est aléatoire, c’est-à-dire soumis à des chances incertaines, et complexe. Dans mon métier, je rencontre fréquemment des personnes qui pensent leur projet professionnel, leur création d’entreprise, leur développement de produits ou de services, comme un château de cartes à dresser ou un puzzle à faire. On ne s’étonnera plus alors, dans un projet mené en mode linéaire, si la part d’ « aléas » se reporte -par exemple- sur l’aspect privé et personnel de la vie (problèmes de couple, séparations…) ou ailleurs (problèmes de santé, d’argent…).

Penser et piloter un projet à partir de la complexité suppose une forte dose d’humilité et d’acceptation, d’une part, car il faut accepter l’erreur de parcours, du mouvement et du changement, d’autre part, car un projet est une projection de soi.

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Complexe & Compliqué

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Complexe veut, d’une certaine façon, dire que l’on n’y a pas accès en mode immédiat, d’un trait, que les choses sont plus entremêlées que ce qu’il n’y paraitrait au premier regard. « Complexus, ce qui est tissé ensemble » nous dit Edgar Morin (1). Dans la Marine, faire ou défaire un nœud peut paraître compliqué pour quelqu’un qui n’a pas immédiatement accès à ce type de structure. Pour un marin aguerri, il s’agira d’une « simple complexité ». Dans son Anthropologie du projet, Jean-Pierre Boutinet (2) nous donne une indication précieuse sur la notion de complexité d’un projet : « Il s’agit toujours du projet d’un sujet qui établit une relation préférentielle signifiante avec certains objets, sur le mode du rejet d’autres objets. »

Dans une approche « complexe » du projet, on ne sépare pas, on ne compartimente pas, mais on tente de relier les éléments en les organisant au mieux, en les pensant. Ce qui peut être compliqué demeure dans la tentative d’appréhender la complexité d’un projet. Est compliqué l’échec de la pensée à raisonner dans le sens de la complexité, envers et contre le courant (majoritaire) de la simplification : « Faisons-simple et efficace ! »,  « Soyons pas compliqué ! »

Complexe et compliqué sont alors confondus,

Comme si l’on ne pouvait pas faire « complexe » et « efficace »,

La simplification prédomine car elle correspond davantage, s’emboîte mieux comme la pièce du puzzle, à une société qui se livre à un véritable « contre-la-montre ». La complexité requiert de la réflexion, un temps plus long.

Le fait qu’un projet complexe semble compliqué dépendra donc du mode d’accès et d’organisation au projet. En d’autres termes : quels sont les matériaux, acteurs, systèmes, méthodes, idées… que je manipule et sélectionne dans le dessein de mon projet et quels sont ceux, par rejet, élimination, que je ne sélectionne pas… et comment savoir si je suis dans l’erreur ou pas ?

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Erreur & Faute

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En fait, la question de l’erreur n’est pas un problème en soi. Si, dans un projet, vous commettez des erreurs, c’est aussi parce que vous expérimentez des choix. L’erreur est individuelle, intériorisée, elle renvoie à une éthique personnelle. La faute est collective, extériorisée, elle renvoie à la morale et aux normes du groupe ou de la société, aux regards des autres.

Pourtant, un bon nombre de personnes disent avoir fait des fautes lorsqu’elles parlent de leurs projets, choix de vie… L’erreur de parcours est enrichissante, elle peut devenir une faute, et être aliénante, dès lors que nous nous effondrons sous le regard que les autres portent sur nos erreurs, c’est-à-dire sur nous. Si l’on se reporte à certains écrits de la théologie chrétienne, la faute est contractée, « la faute d’un seul, nous renvoie au péché de tous (Paul) », alors que l’erreur est commise, c’est donc un acte individuel en puissance.

Sur la complexité d’un projet de vie, qui pourrait se traduire par une alternative nécessitant un positionnement et un choix : « être heureux dans la vie pour gagner sa vie » ou bien « gagner sa vie pour être heureux dans la vie », on perçoit bien que les différences -y compris infimes dans l’énoncé- auront des conséquences importantes toutes différentes dans la pratique. D’une part, la conséquence de notre autonomie financière passe par la réalisation et l’épanouissement de soi, ce qui sous-entend que sans cette réalisation de soi point de salut « matériel »; d’autre part, l’épanouissement personnel est assujetti à la liberté de moyens matériels et l’autonomie de soi.

Ce sont deux propositions parmi d’autres. Certaines personnes arrivent à un bonheur et une autonomie personnels sans avoir de rapports à la « dimension argent » ou du moins un rapport réduit au strict minimum, mais, dans tous les cas, le langage de la complexité s’entend et se comprend par le passage qu’ouvre la pensée et l’agencement qui en découle.

Edgar Morin nous interpelle, dans son Introduction à la pensée complexe (1) : « La cause profonde d’erreur n’est pas dans l’erreur de fait (fausse perception) ou l’erreur logique (incohérence), mais dans le mode d’organisation de notre savoir en système d’idées (théories, idéologies) (…) ».

L’échec face à un projet complexe est de dire : je ne sais pas ! Ce qui est une forme de simplification et souvent de paresse intellectuelle … Car, qu’en savons-nous au juste de ne rien savoir d’une question ou d’un problème posés ? N’est-ce pas un peu sévère ? Bien souvent, la réponse réflexe, la précipitation du « Je ne sais pas », confirme que nous n’avons pas pris le temps de penser la complexité.

Souvenons-nous alors, pour notre bonne fortune, de la citation de Rivarol et repensons joyeusement la complexité : « C’est une grande force de ne rien savoir, mais il ne faut pas en abuser ! »

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Bibliographie recommandée

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1. Introduction à la pensée complexe, Edgar Morin, Éditions du Seuil – Points / Essais, Paris, 2005

2. Anthropologie du projet, Jean-Pierre Boutinet, Éditions PUF Quadrige, Paris, 2010

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L’auteur_

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Norbert MaciaÉducateur sportif de son premier métier, après 10 années d’expérience dans le secteur du sport et des loisirs, Norbert Macia se reconvertit, en 2006, au coaching professionnel auprès des particuliers et des entreprises. Diplômé de l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence en 2005, il s’oriente vers un troisième cycle universitaire en coaching qu’il obtient en 2006 à la Faculté d’Économie Appliquée d’Aix-en-Provence.

[Portrait de Norbert : Studio Italiano.fr]

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Mise en ligne : 13 novembre 2012

 

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