Questions de jugement

Norbert Macia – lundi 7 octobre 2013 – Philosophie   


Questions de jugement_

La fréquentation soutenue de nos semblables, et de nous-mêmes comme semblables des autres,  nous démontre bien à quel point l’être humain a à avoir à être (ou ne pas être) ses possibilités et choix de vie. Il pourra (ou il ne pourra pas), de part cette disposition fondamentale, dont la philosophie existentielle nous a entretenu, saisir, créer, ou « laisser passer » les possibilités qui sont potentiellement les siennes.

Que sont les possibilités de notre existence ? Nul ne le sait, c’est la condition même de notre liberté qui nous est offerte. Avons-nous fait de notre vie ce que nous voulions faire lorsque nous étions enfant, ou avons-nous fait tout autre chose ?

La grande difficulté réside dans le fait même que toutes ces possibilités (en devenir) ne déclinent leur identité qu’à partir du passage, le « jeté » en elles, s’arrachant ainsi de la dimension passive de ce qui est.

 « Tu cherches à passer par la porte, or il n’y a pas de porte. Mais tu ne le sais que quand tu as passé la porte. »

(Proverbe Taoïste)

Certains osent, d’autres pas, certains osent moins, d’autres plus. Mais ceci n’est pas sans conséquences, ni pour les uns, ni les autres, dans leur capacité et aptitude respectives au jugement des uns et des autres. « La vie, c’est pas ça ».

Nous voilà donc au cœur du jugement, plutôt des jugements.

Première observation

J’ai fréquemment entendu des professionnels du coaching, de la thérapie, ou des managers, me faire l’aveu de ne jamais juger une personne, un client, ou un collaborateur, dans une situation ou un contexte professionnels ou personnels.

Cela m’a toujours quelque peu étonné, et ce pour des raisons d’interprétation philosophique plus que morales ou personnelles.

L’aveu, tel que confié la plupart du temps, ne laisse planer aucun doute sur le fait que le non-jugement, tel qu’exprimé, octroie comme par extension (enchantement ?) la même capacité de non-jugement aux autres actes de la vie quotidienne. «Je ne juge jamais personne», ce qui en science mathématique peut être l’équivalent de : « Je juge tout le temps tout le monde ».

Est-ce aussi simple, et sinon, quel est alors le sens d’une telle affirmation pour soi et pour l’autre ?

Si le jugement est un procédé « naturel » et conscient, que pouvons-nous alors reconnaître en situation, d’un mécanisme, inconscient, qui serait quant à lui susceptible de nous couper de notre faculté réelle de jugement sur soi-même (refoulé psychanalytique), ou d’un autre mécanisme de nature volontaire (épocké phénoménologique), qui se traduit par une « mise  entre parenthèses » provisoire de notre attitude naturelle au jugement ?

Si nous admettons que le jugement (la faculté de juger) est le propre de l’Homme, c’est-à-dire si nous l’acceptons comme « acte de connaissance », une absence de jugement revendiquée et assumée serait-elle alors un artefact de notre égo ? Si oui, à quoi ce procédé nous sert-il alors dans une situation d’accompagnement ou de management ?

Ne jugeons-nous pas pour les mauvaises raisons ou jugeons-nous pour les bonnes ?

Deuxième observation

Dans sa philosophie, Kant (1724-1804) définit le jugement analytique comme une forme de jugement « dont le prédicat est contenu dans le sujet ».

« Dans toute énonciation où l’on peut distinguer ce dont on parle et ce qu’on affirme ou nie, le premier terme est appelé sujet et le second prédicat. »

(Vocabulaire technique et critique de la philosophie, André Lalande, Éditions PUF, 2010, Paris).

Exemple : « Aucun célibataire n’est marié ».

Il existe donc, si l’on se réfère à la philosophie kantienne, des vérités « a priori » vraies qui ne nécessitent pas une vérification par l’expérience pour en constater leur nature véridique. Nous avons là, le contraire du proverbe taoïste mentionné plus haut.

Ce proverbe est d’ailleurs en soi (comme la plupart des proverbes) une forme de jugement qualifié de « problématique », puisque l’énoncé est un fait qualifié de « possible », donc posant de fait un problème restant à démontrer.

Nous voyons alors que la question du jugement est étroitement liée aux notions de discernement, de justice et de vérité. Si des personnes se sentent blessées, choquées, humiliées, ou valorisées par des questions de jugement; ou que d’autres s’« interdisent » de juger, c’est peut-être que ces questions de jugement sont des questions profondes qui mettent en jeu nos valeurs, notre morale, mais aussi notre éthique dans ce qu’elle peut contenir d’insaisissable, de paradoxal, et d’insensé parfois.

Nous poursuivrons prochainement cette réflexion autour des différents types de jugement.

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