Sciences de l’Homme et psychologies

Norbert Macia – vendredi 12 juillet 2013 – Psychologie & Relation d’aide, Sciences Humaines   


Sciences de l’Homme et psychologies

Cet ensemble de disciplines que l’on nomme « sciences humaines » ou « sciences de l’homme », tentant d’appréhender la « réalité humaine » par divers abords, a littéralement pris d’assaut nos médias  depuis quelques années. Il est de ce fait parfois moins aisé de dater les principaux antagonismes et courants de pensée, tant les informations sont nombreuses et ne nous laissent parfois que peu de répit dans la pratique du contraste.

Tâchons donc aujourd’hui de mettre en relief  une des oppositions fondatrices, datant du XIXème siècle, dont les ramifications se poursuivent et s’étendent sous diverses formes et propositions de nos jours. Prenons, pour cela, appui sur la chronologie des idées, les entrelacements, et parfois même, les ponts établis entre les différents courants de la psychologie, la psychopathologie et le développement personnel et spirituel._

Sciences de l’Homme VS Sciences de la Nature

Cette opposition majeure et contemporaine prend sa source au XIXème siècle, en 1894 pour être plus précis, lorsque l’historien, psychologue, sociologue et philosophe allemand, Wilhelm Dilthey, oppose, dans un discours à l’Académie des Sciences de Berlin, « expliquer » (idéal des sciences de la nature) et « comprendre » (but des sciences humaines) » (1).

Par « expliquer », par « science explicative », il est question de tout élément, ou tout domaine  d’éléments, subordonné à un « système de causalité ». C’est-à-dire, subordonné à  un ensemble de postulats, de causes et effets,  dans lequel et au travers duquel, une partie des postulats dont il est question subordonne l’ensemble tout comme les murs porteurs d’une maison (parties constitutives du système) conditionnent et subordonnent le maintien de toute la structure.

Par « comprendre » Dilthey entend montrer et soutenir une science qui serait celle de la description : « Décrire un ensemble qui est toujours donné primitivement, comme la vie même (…). L’analyse de cet ensemble consistant non pas à chercher les éléments dans une perspective causaliste, mais à le comprendre par leur contexte et par rapport à l’ensemble. » (Ibid.)

Dès lors, deux conceptions de la psychologie s’affrontent : un scientisme mécaniste expérimental ou positivisme déterministe, et l’historicité de l’homme à travers les penseurs de la temporalité, « manifestation d’une logique historique et continue » privilégiant l’étude de ce qui est en mouvement contre l’étude de ce qui est en soi déterminé comme tel. Opposition entre l’étude des culture humaines, leur histoire et leurs valeurs, ou sciences de l’esprit, et l’étude des sciences de la nature et de leur environnement, prolongeant ainsi l’opposition classique et ancienne entre philosophie naturelle et philosophie morale.

Le principal problème  des sciences de l’homme, ou sciences humaines, est celui de l’objectivité et de la méthode relatives à l’étude de l’homme en regard de ce que l’on appelle aujourd’hui encore LA science.   En effet, ce sur quoi se porte l’objet de l’étude est le sujet « homme » qui dirige lui-même l’étude.

Sciences de l’Homme, psychopathologie, développement personnel

Dans les sciences de l’homme, la psychologie clinique a un rôle important puisqu’elle sous-tend et pose la question des pathologies mentales chez l’homme, que l’on qualifiera aussi de « troubles psychiques ». Ainsi, depuis 1894, divers courants de pensée s’opposent, ou se rencontrent parfois, autour d’une question également fondamentale : faut-il s’occuper du passé de l’ « homme malade », prendre en compte l’ « ici et maintenant », ou bien miser sur son avenir « potentiellement positif  » ?

Du fait de ces inclinaisons, plusieurs courants thérapeutiques vont se développer tout le long des XIX, XX et XXI siècles, parallèlement à un mouvement de pensée plus englobant, historiquement daté, originairement en lien avec des questionnement sur le sens de la vie, hétéroclite et intégratif : le développement personnel. S’éloignant souvent de la rigueur et de la méthodologie scientifiques, ce dernier arborera plus volontiers les chemins de traverse, la littérature grand public (best-sellers), la politique, la spiritualité, la religion ou encore le cinéma (Matrix).

Parmi les grands courants thérapeutiques présents, qui ont, à des niveaux et des degrés différents, emprunté les voies ouvertes par ce que l’on a désigner comme « développement personnel », nous citerons :

  1. Les thérapies psychanalytiques
  2. Les thérapies comportementales
  3. Les thérapies humanistes
  4. Les thérapies familiales et systémiques
  5. Les thérapies biopsychologiques
  6. Les thérapies psychocorporelles

Ces « écoles » sont à relier à certains courants de pensée, dates et auteurs clés d’importance notoire dans le développement, la rencontre, l’interprétation, l’entrelacement ou encore l’anticipation des sciences de l’homme, parallèlement aux avancées de la science.

La phénoménologie et les théories descriptives

  • ACTEURS CLÉS : DILTHEY – HUSSERL – HEIDEGGER – RICOEUR – BINSWANGER
  • REPÈRES : 
    • 1894 : Discours de Wilhelm Dilthey à l’Académie des Sciences de Berlin.
    • 1913 : Publication de Idées directrices pour une phénoménologie de Edmond Husserl.
    • 1927 : Publication de Être et temps de Martin Heidegger.
    • 1950 : Présentation par Ludwig Binswanger, au premier congrès international de psychiatrie de Paris, d’une nouvelle méthode thérapeutique qu’il nomme Daseinsanalyse (Analyse existentielle).
    • 1963 : Rencontre en Suisse entre Alfonso Caycedo (père de la sophrologie) et Ludwig Binswanger (père de la psychiatrie phénoménologique).
    • 1965 : Publication de De l’interprétation, Essai sur Sigmund Freud de Paul Ricoeur.

La psychanalyse et les théories explicatives

  • ACTEURS CLÉS : HERBART – BREUER – FREUD – LACAN – DOLTO
  • REPÈRES :
    • 1824 : Publication de La psychologie comme science nouvellement fondée sur l’expérience, la métaphysique et la mathématique de Johann Friedrich Herbart.
    • 1895 : Publication de Études sur l’hystérie, ouvrage coécrit par Joseph Breuer et Sigmund Freud.
    • 1905 : Publication de Trois essais sur la théorie sexuelle de Sigmund Freud.
    • 1957 : Interview de Jacques Lacan à l’Express : «  L’inconscient est structuré comme un langage ».
    • 1979 : Ouverture de la première « Maison verte » à Paris sous l’impulsion de Françoise Dolto et son équipe.

Le béhaviorisme et les théories du comportement

  • ACTEURS CLÉS : WATSON – PAVLOV – THORNDIKE – SKINNER – LABORIT
  •   REPÈRES:
    • 1889 : Ivan Petrovitch Pavlov démontre le réflexe conditionné chez le chien.
    • 1911 : Edward Thorndike invente la Loi de l’effet.
    • 1913 : Invention du terme « béhaviorisme » par John Broadus Watson
    • 1930 : Burrhus Frederic Skinner invente la « boîte de Skinner » (Skinner box) et démonter le conditionnement opérant.
    • 1952 : Henri Laborit met au point la technique de l’hibernation artificielle et introduit la chlorpromazine, le premier neuroleptique au monde.
    • 1979 : Le cinéaste Alain Resnais réalise le film « Mon oncle d’Amérique » à partir des travaux d’Henri Laborit.

La cybernétique, les théories du système et la pensée complexe

  • ACTEURS CLÉS : FONDATION MACY –  MC CULLOCH – BATESON – ERICKSON – PALO ALTO – WIENER – MORIN
  • REPÈRES :
    • 1942 : Première conférence organisée par la fondation Macy, à l’initiative de Warren Mc Culloch, sur le thème de l’ »inhibition cérébrale » par Milton Erickson, dans le but « d’édifier une science générale du fonctionnement de l’esprit. »
    • 1948 : Popularisation de la cybernétique, par Norbert Wiener, dans son ouvrage Cybernetics, or control and communication in the animal and the machine.
    • 1952 :  Gregory Bateson obtient le financement de la Fondation Rockefeller pour une étude du « paradoxe de l’abstraction dans la communication » à Palo-Alto.
    • 1959 : Fondation du Mental Research Institute (MRI) à Palo Alto et développement des thérapies brèves, systémiques et familiales.
    • 1982 : Première formulation de l’expression « pensée complexe » par Edgard Morin dans son livre Science avec conscience.

La psychologie humaniste et la pensée positive

  • ACTEURS RÉFÉRENTS : MASLOW – ROGERS – CAYCEDO – FRANKL – SELIGMAN
  • REPÈRES :
    • 1943 : Parution de l’article d’Abraham Maslow, A Theory of Human Motivation, qui donnera naissance à la pyramide (hiérarchie) des besoins.
    • 1959 : Publication de Man’s Search for Meaning (Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie) de Viktor Frankl.
    • 1960 : Alfonso Caycedo invente le terme de « sophrologie » et « fonde la même année le premier département de sophrologie clinique à Madrid, dans le service de neuropsychiatrie du Pr. López Ibor. »
    • 1961 : Publication de Le développement de la personne de Carl Rogers, au travers duquel l’auteur développe ses principales notions autour de son approche centrée sur la personne (ACP).
    • 1998 : Naissance de la psychologie positive  de Martin Seligman, qui devient président de la Société américaine de psychologie (American Psychological Association, APA).

La psychologie trans-personnelle et les théories futuristes et intégratives

  • ACTEURS CLÉS : JUNG – ASSAGIOLI – MASLOW – SUTICH – GROF – WILBER
  • REPÈRES : 
    • 1917 : Premier emploi du mot « transpersonnel » avec Carl Gustav Jung « überpersönlich »
    • 1926: Le psychiatre et psychanalyste italien Roberto Assagioli fonde, à Rome, son premier institut de Psychosynthèse.
    • 1968 : Rencontre Abraham Maslow, Antony Sutich, Stanislav Grof autour de l’idée nouvelle d’une « psychologie transpersonnelle ».
    • 1972 : Fondation de l’association de psychologie transpersonnelle par Anthony Sutich.
    • 1976 : Stanislav et Christina Grof développent la « respiration holotropique » (proche du Rebirth) à l’Institut Esalen (Big Surn Californie).
    • 1983 : Le philosophe et spiritualiste américain Ken Wilber se sépare de la psychologie transpersonnelle pour fonder une psychologie d « approche intégrale ».
    • 1999 : Sortie du film de science-fiction « Matrix  » réalisé par les frères Wachowski reprenant, certaines des idées de Wilber.

Bibliographie  recommandée par l’auteur

  1. Analyse existentielle et psychothérapie phénoméno-structurale, Roger Mucchielli, Éditions Dessart, Bruxelles, 1967
  2. L’homme psychopathologique et la psychologie clinique, Winfrid Huber, Éditions Puf, Paris 1993

A propos de l’auteur

Laisser un commentaire