La relation projet-porteur de projet
Norbert Macia – mardi 28 janvier 2014 – Projet
La relation projet-porteur de projet
J’anime des ateliers sur le projet professionnel depuis maintenant plus de trois ans, avec des publics aussi variés et fluctuants que le sont leurs degrés respectifs de motivation, implication, engagement, curiosité, ouverture d’esprit, capacité à reconsidérer et questionner leurs acquis à neuf, capacité à revenir sur leurs pas, etc., etc.
Ce qui précède est non sans rapport, ni importance, avec ce qui suit puisque un grand nombre de porteurs de projet, j’ai pu le constater, pensent qu’un projet professionnel se réduit à une offre correspondant à une demande, ou au fait de remplir des tableaux de reporting.
La réalité est plus complexe et l’Histoire nous prouve que les plus belles et grandioses aventures professionnelles sont celles qui ont émergé à partir d’elles-mêmes, de rencontres, de hasards, souvent dans un chaos éruptif ou intempestif, qui ne laisse que peu de place à la normalisation (du moins dans les premiers temps). J’entends par là que l’idée anticipatrice, l’invention, la réalisation créative et mouvante, sont des éléments déconnectés, ou en marge, d’une logique rationalisée à l’extrême engoncée dans le culte du « prévisionnel gestionnaire ».
De fait, pourquoi un projet professionnel, y compris un projet apriori « plan-plan », ne pourrait-il pas comprendre et inclure une composante d’innovation dès le départ ? Combien y pensent réellement lors de leur création d’activité ?
Combien pensent également le rapport d’évolution entre l’objet « projet » et le sujet « porteur de projet », animal politique, être changeant, social, familial, affectif s’il n’est ?
Quels sont alors les choix en marche pour tel porteur de projet et tel autre projet : logique de progression unidirectionnelle linéaire ou bien multidirectionnelle complexe ?
La composante « innovation »
Développer une activité professionnelle ne se réduit pas à « séduire le client », reproduire les mêmes recettes que celles vantées par vos voisins, ou coucher tous les soirs avec les chiffres.
La composante innovation (je ne parle pas seulement ici d’innovation technologique) réside dans notre plus-value personnelle, nos possibilités. Ce qui fait que l’originalité de nos projets, nos produits et services, dépend principalement de notre originalité et inventivité personnelle et demeure unique et identitairement marquée.
On peut vous prendre ce que vous faites mais on ne peut pas vous prendre ce que vous êtes, or si ce que vous faites est suffisamment habité et marqué par ce que vous êtes alors il n’y a plus d’inquiétude à avoir sur ce que vous projetez de faire.
Dans le cas contraire, si l’écart entre ce que vous faites et ce que vous êtes est trop important, vous basculerez certainement dans la crainte d’une dépossession de votre savoir-faire, à juste titre d’ailleurs, car celui-ci sera trop « factice », ou impersonnel, à défaut d’être exceptionnel et authentique, pour ne pas être dupliqué. Vous vivrez la frustration de ne pas réussir ou intéresser suffisamment de monde, car ce que vous proposerez sera « déjà-vu », « copier-coller », insuffisamment connecté à vos valeurs et rêves.
Ce qui est triste au bout du compte, opérant de la sorte, est que tout ceci contribuera à renforcer la parole et le pouvoir des « résignés » : ceux qui, ne croyant plus en leurs rêves, ne croyant plus en leurs désirs, n’aimant finalement pas la vie, ni la joie de vivre, préférant la conservation ou l’enlisement, se retrouvent autour d’un seul objectif : non pas des encouragements, mais bien une volonté de conversion des non-résignés à leur triste et illusoire vérité de seconde main.
Linéarité et multi-directions
Qu’arrive t-il parfois lorsqu’un projet est totalement rationalisé, programmé, orchestré, conditionné sur une période plus ou moins longue et, qu’entre-temps, le porteur de projet change, évolue, s’ouvre à de nouvelles perspectives personnelles ou professionnelles ?
Le projet subit alors une dépersonnalisation et se vide de son sens et entre en conflit avec le porteur de projet dans l’espace produit par le décalage subjectif de ce dernier : « Je n’ai finalement plus envie de faire cela (…) ».
Il y a donc de fait au moins deux manières d’aborder cette question, deux manières de concevoir la relation projet-porteur de projet, et par conséquent aussi en toile de fond, au moins deux manières de concevoir la vie.
Première manière de faire : vous choisissez délibérément, ou « subissez » (c’est-à-dire que vous avez fait un choix mais vous n’êtes pas totalement conscient de ce que ce choix implique), la progression unidirectionnelle ou voie linéaire.
Les étapes suivantes concerneront votre développement de projet dans un ordre respectivement chronologique et linéaire :
01 – Étudier votre marché
02 – Établir une stratégie commerciale de développement
03 – Planifier et organiser son temps et ses actions
04 – Intégrer et maîtriser les outils et techniques de commercialisation
05 – Choisir une forme juridique
06 – Gérer la complexité engendrée par les 5 points précédents
07 – Prospecter et trouver des clients
08 – Investir, produire, facturer vos prestations ou produits
09 – Investir temps et énergie en recherche et développement sur votre projet
10 – Investir temps et énergie en recherche et développement de partenariats
11 – Investir temps et énergie dans votre engagement social (Internet, NTIC..)
12 – Gérer la complexité engendrée par les 11 points précédents
13 – Sécuriser le démarrage de votre activité à N+1
14 – Analyser et anticiper les risques liés de votre activité à N+3
15 – Analyser et anticiper le développement de votre entreprise à N+3
16 – Analyser et établir votre solvabilité financière à N+3
17 – Débuter la recherche de partenaires financiers fiables
18 – Établir votre légitimité professionnelle
19 – Établir votre reconnaissance professionnelle
20 – Établir vos expertise et différenciation (innovation) professionnelles
21 – Gérer la complexité engendrée par les 20 points précédents
Multi-directions et complexité
Seconde manière de faire : vous n’arrivez pas à vous contraindre à un développement de projet de type « linéaire » et vous vous lancez dans ce que l’on pourrait appeler une « aventure de projet » ou encore une progression multidirectionnelle, telle que la conceptualise l’artiste et journaliste Jaime SERRA (1). Voir infographie ci-contre >
Il se peut alors que votre projet se développe de la manière suivante ou bien encore par d’autres façons ou systèmes de renvois :
- Vous avez une belle idée de projet à laquelle vous croyez et qui vous enthousiasme de prime abord,
- Vous rencontrez une personne (A) qui s’intéresse à votre projet dans un contexte non déterminé par avance. Avec cette même personne vous envisagez la perspective d’une collaboration future qui concerne votre projet au niveau de la stratégie commerciale de développement (Point n°02 du développement linéaire),
- Dans le cadre du développement commercial de votre projet, (A) vous met en relation avec (B). Après avoir longuement échangé avec ce dernier, vous prenez conscience que le développement optimal de votre projet est mis en difficulté pour des motifs juridiques. Vous n’êtes en effet pas en possession de certains diplômes et attestations professionnelles nécessaires à votre activité. (Point n°18 du développement linéaire : « Établir votre légitimité professionnelle »),
- Vous traversez une période de doute et de découragement, car vous avez le sentiment d’avoir perdu du temps et revenir « à la case départ », et vous commentez ceci avec votre facteur (C) que vous connaissez depuis un certain temps et avec lequel vous avez sympathisé. Ce dernier vous parle d’une personne rencontrée très récemment (D) qui travaille sur un projet proche du votre (Point n°10 du développement linéaire en mode + ou – conscient : « Investir temps et énergie en recherche et développement de partenariats »),
- Vous rencontrez (D), qui possède en effet les références professionnelles requises et attendues au point n°18, et êtes enthousiaste à l’idée de développer un projet professionnel commun en acceptant :
– Dans un premier temps, de vous occuper de la partie stratégie commerciale de développement (Point n°02 du développement linéaire),
– Dans un second temps de vous former à l’exercice future de la profession (Point n°18 du développement linéaire : « Etablir votre légitimité professionnelle »),
– Tout en ayant parallèlement un statut d’associé et être co-dirigeant de la société en question (Point n°19 du développement linéaire : « Établir votre reconnaissance professionnelle »).
Etc., etc.…
Intégration de la complexité
Lors de mes ateliers sur le projet professionnel, je recommande régulièrement de ne pas perdre de vue la notion de complexité et l’intégrer comme donnée fondamentale à toute approche de développement de projet ou d’activité.
Je recommande aussi de ne pas choisir de façon tranchée entre le modèle linéaire et le modèle multi-directionnel, mais bien en revanche d’intégrer les deux approches en une, ce qui permet très concrètement :
- D’avoir une trame de développement chronologique à laquelle se référer dès que nécessaire,
- D’avoir un maximum d’ouverture, de disponibilité et de flexibilité en regard de cette trame ou cadre référent, afin de ne pas passer à côté de rencontres et opportunités potentielles qui pourraient changer positivement le cours des choses.
Comme le préconise Jean-Louis Le Moigne dans son ouvrage référent en la matière (2), La modélisation des systèmes complexes, lorsque un système est compliqué, on peut le simplifier pour en découvrir son intelligibilité ; lorsque un système est complexe on doit le modéliser pour construire son intelligibilité, mais on ne doit pas simplifier un système complexe sous peine de le mutiler.
La relation du porteur de projet à son projet relève, elle aussi, de la complexité ou comme je l’avais souligné dans un précédent article traitant de la philosophie de projet : de la « science des conditions d’existence »._
Bibliographie recommandée_
(1) Blog de Jaime SERRA : http://jaimeserra-archivos.blogspot.fr/__
(2) La modélisation des systèmes complexes, Jean-Louis Le Moigne, Éditions Dunod, Paris, 1999
A propos de l’auteur
- Bases méthodologiques du coaching et éthique du faire
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