Qu’est-ce que le bonheur ?
Norbert Macia – lundi 23 septembre 2013 – Pensée positive - 2 Comments
Bonheur et ataraxie
N’est-il pas flagrant, par temps de « crise », puisque c’est bien ce que nous entendons de toutes parts, « nous sommes en crise », que l’idée de bonheur devienne une sorte de thème incantatoire non sans rappeler le retour à une certaine forme de syncrétisme ?
La question du bonheur est fondamentale, et abyssale aussi, puisqu’elle met en jeu l’existence des hommes dans la façon d’éprouver leur vie. La restreindre au seul contexte socio-économique est, de mon point de vue, une erreur qui nous conduit à faire l’impasse sur bien d’autres aspects d’une « vie heureuse ».
Je me suis donc demandé ce qu’était le bonheur pour les philosophes de l’Antiquité et vous propose aujourd’hui de (re)parcourir quelques anciennes pistes qui, pourtant, n’ont toujours rien perdu de leur fraîcheur.
Dans le langage courant, le bonheur se conçoit comme une idée que chacun peut se faire et avoir au sujet de la vie, ou plutôt de la « vie heureuse ».
Qu’est-ce alors qu’une vie heureuse ?
Possible que ce soit une vie remplie de toutes sortes de bonheurs (petits et grands).
Mais, qu’entendons-nous alors par LE bonheur ?
Nous voyons, dès lors que « bonheur » se conjugue au pluriel, qu’il est peut-être question non pas d’une définition mais de plusieurs approches du bonheur. Étrangement, nous ne parlons jamais autant de bonheur que lors de périodes de crise, ou lorsque nous traversons des difficultés personnelles ou professionnelles. Comme si l’absence de malheurs dans la vie était, en soi, le bonheur.
Ataraxie me diriez-vous, à la mode des grecs anciens ! Oui, l’absence de troubles et d’angoisse pourrait peut-être nous reconduire sur les sentiers des anciens penseurs du ravissement, mais est-ce bien le cas ? Nos vies actuelles nous laissent-elles sincèrement l’occasion d’éprouver la sérénité, la mesure et l’harmonie ? Là, peut-être, réside le vrai défi. Peut-être, mais combien de personnes pourtant détachées de bien des tracas matériels, et autres contingences de la vie, ne semblent portant jamais en capacité de goûter au doux nectar de la félicité ?
Voici donc ce que préconisaient les anciennes écoles de la philosophie grecque sur le sujet du bonheur de vivre et la question du : comment vivre heureux ?
Le scepticisme (IIer, IIIème siècles av. J.-C.)
« (…) le sage Pyrrhonien atteint le bonheur en se rendant compte qu’il ne perçoit rien avec certitude ni par la sensation, ni par la pensée et en s’affranchissant ainsi des continuels chagrins et soucis qui atteignent les adeptes des autres sectes. Le scepticisme est donc, lui aussi, une école de bonheur et d’ataraxie. »
Histoire de la philosophie, Émile Bréhier, Éditions puf, Collection Quadrige Manuels, 2004, Paris, p. 302
L’école de Pyrrhon est, comme la plupart des enseignements de l’Antiquité, une école de la recherche du bonheur par l’absence de troubles et l’identification des croyances que les hommes entretiennent avec les choses de leurs temps.
Ainsi, au sujet des dites croyances, cette idée toujours très contemporaine qui veut que l’instabilité sociale provienne nécessairement d’un défaut de réussite sociale ou de fortune.
La suspension du jugement est donc au cœur de l’école pyrrhonienne dans la recherche du bonheur, et se traduit par les actes plus que par le discours : la doctrine de Pyrrhon est une doctrine -essentiellement- pratique.
L’épicurisme (IIIème siècle av. J.-C.)
« De tout ce que la sagesse nous prépare pour le bonheur de la vie entière, (…) la possession de l’amitié est de beaucoup le plus important. »
(Propos d’Épicure) Histoire de la philosophie, Émile Bréhier, Éditions puf, Collection Quadrige Manuels, 2004, Paris, pp. 387-388
L’amitié, oui mais pas seulement…
Pour Épicure, « le calme de l’âme et la lumière de l’esprit » ne peuvent s’atteindre que par une compréhension de l’atomisme ou théorie générale de l’univers.
Théorie qui à elle seule « fait disparaître toute cause de crainte et de trouble », à des fins d’ataraxie et de plaisir. Le plaisir est compris, pour Épicure, comme une absence de douleurs physique et morale puisqu’il s’agit de « vivre en Dieu parmi les hommes ».
Comprendre comment fonctionne un système et comprendre qu’elle est notre juste place dans le système, peut nous procurer un sentiment d’apaisement, voire de bonheur. En ce sens, rencontrer un tiers dans ces mêmes dispositions peut faire de nous des amis et nous aider dans l’amitié.
Le stoïcisme (IVème siècle av. J.-C.)
« Les stoïciens appellent partie hégémonique ou directrice de l’âme, ou bien encore réflexion, cette partie où se produit la représentation, l’assentiment et l’inclination; et ils se la représentent comme un souffle igné localisé dans le cœur [« pneuma » ou âme]. » (…) Le bien ou le bonheur n’est plus comme un don divin qui s’ajoute à elle [la vertu]. La vertu n’a donc aucun objet extérieur vers lequel tendre; elle s’arrête à elle-même; elle est désirable pour elle-même; elle ne tire pas sa valeur de la fin qu’elle fait atteindre; puisqu’elle est elle-même cette fin. »
Histoire de la philosophie, Émile Bréhier, Éditions puf, Collection Quadrige Manuels, 2004, Paris, pp. 290-291
La doctrine de Zénon de Cittium, et de ses disciples de l’école du Portique (stoa), propose la recherche du bonheur à travers la pratique de la vertu comme fin en soi.
La vertu se fonde ainsi sur la connaissance de la nature physique des êtres et de l’univers et l’harmonisation avec cette nature, dans l’indifférence la plus totale face à la sensibilité, la douleur, les malheurs et les privations. Cette indifférence se traduit en somme par le fait qu’il n’y a pas de désir de possession d’objets extérieurs à soi._
Bonheur et croyances
Le bonheur est aussi un concept, une idée, une représentation humaine d’un ensemble de faits ou idées qui font sens pour nous. Le bonheur est, dans les dictionnaires d’usage, un nom masculin apparu au XIIème siècle, composé de « bon » et « heur », dérivé du latin « augurium », l’« augure ».
- L’heur est selon le dictionnaire étymologique de la langue française (Bloch) : la « chance bonne ou mauvaise ».
- Chance provient de cheance, chute, chute des dés, du latin cadentia, dérivé de cadere, c’est-à-dire « tomber ».
Étymologiquement, le bonheur est : l’heure où ce qui nous arrive par le fait de la providence, la chance, le destin, ou le Souverain bien (pour la philosophie antique), est bon pour nous et se présente comme ce vers quoi il faut tendre dans la vie.
Mais encore, comme pourrait-nous le laisser entendre le célèbre tableau (L’école d’Athènes) du peintre italien Raphaël, le bonheur pourrait peut-être se concevoir, à partir de son étymologie, d’au moins deux manières :
- La première conception philosophique du bonheur serait d’essence imaginaire, divine, religieuse, platonicienne : notre regard se porte vers un au-dessus, un au-delà, une transcendance des choses et des êtres, un futur vers lequel nous espérons et devons tendre. Platon, en possession de son Timée, pointe le ciel du doigt.
Soit, le bonheur nous tombe dessus comme l’éclair tombe du ciel : il échappe alors à toute tentative de maîtrise, et nous déresponsabilise d’une certaine façon de notre part active et volontaire dans sa recherche.
La recherche se porte alors sur d’autres aspects de notre vie (morale, sagesse, fidélité, sacrifice…), et le bonheur arrive de surcroît, ou n’arrive pas, sur un mode indirect, sélectif et méritoire : sous la forme d’une récompense ou reconnaissance, en fonction de nos fautes et parcours de vie.
C’est aussi la vision « croyante » du bonheur : « J’espère que cela m’arrivera ».
« Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’à tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut. La raison en est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c’est-à-dire qu’ils doivent être empruntés à l’expérience; et que cependant pour l’idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu’un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu’on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu’il veut ici véritablement. »
Fondements de la métaphysique des mœurs, Kant, 1785, Trad. Delbos, Delagrave, pp. 131-132.
- La seconde conception philosophique du bonheur serait de nature raisonnable, terrestre, humaine, aristotélicienne : notre regard se porte sur l’ici-et-le-maintenant, l’immanence des choses et des êtres, un présent dont nous sommes pleinement responsables. Aristote, en possession de son Éthique à Nicomaque, désigne la Terre.
Soit, le bonheur qui nous arrive est directement tributaire de ce que nous faisons de notre vie (éthique personnelle, valeurs) : il s’agit d’une vision constructiviste et productive du bonheur. Celui-ci est entièrement de notre fait, arrive ou n’arrive pas, et ce en fonction de nos erreurs et parcours de vie.
C’est la vision expérimentale ou « scientifique » du bonheur : « J’apprends de mes erreurs ».
« Si le propre de l’homme est l’activité de l’âme, en accord complet ou partiel avec la raison ; si nous affirmons que cette fonction est propre à la nature de l’homme vertueux, comme lorsqu’on parle du bon citharède et du citharède accompli et qu’il en est de même en un mot en toutes circonstances, en tenant compte de la même supériorité qui, d’après le mérite, vient couronner l’acte, le citharède jouant la cithare, le citharède accompli en jouant bien ; s’il en est ainsi, nous supposons que le propre de l’homme est un certain genre de vie, que ce genre de vie est l’activité de l’âme, accompagnée d’actions raisonnables et que chez l’homme accompli tout se fait selon le Bien et le Beau, chacun de ses actes s’exécutant à la perfection selon la vertu qui lui est propre. »
Ethique à Nicomaque, Aristote, Livre I, chap. VII, Garnier, pp. 23-25.
A propos de l’auteur
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Merci pour cet article, bref, éclairant et bienfaisant.
Retrouver des définitions philosophiques bien choisies me permet en tant que lectrice de nourrir avec plaisir mon coeur et mon cerveau. Tout à fait cohérent avec ma conception du bonheur. Jouer de la cithare, jardiner, cuisiner, écouter ou s’adonner à n’importe quelle activité qui permet de se connecter avec soi pour accueillir le bonheur en soi, pour soi et ainsi être plus disponible quand je suis avec un ami ou une personne inattendue. A bientôt
Merci à vous Jackie d’avoir pris le temps et le soin de commenter. Le bonheur est bien une affaire singulière tout en étant une affaire plurielle… Comment pourrions-nous vivre heureux et comment pourrait-il en être autrement ? A bientôt
Amicalement
Norbert