Epreuves de la vie : comment s’y préparer ?

Norbert Macia – jeudi 25 mai 2023 – Philosophie, Psychologie & Relation d’aide   


Epreuves de la vie : comment depuis notre support prendre notre envol et ne pas manquer à notre existence ?
Oiseau posé sur une branche évoquant la métaphore de l’immanence nécessaire à toute transcendance.

Comment se préparer aux épreuves de la vie ?

Être en vie et exister : la question de l’aventure.

Il y a une différence fondamentale entre « être en vie » et « exister ». Un être humain n’existe pas de la même façon qu’une table existe, et pourtant nous disons des deux qu’ils existent, ou plutôt, qu’ils sont.

Être en vie, c’est -naturellement- être vivant. C’est-à-dire avoir des interactions avec son environnement, aux sens écologique, économique, biologique et humain du terme : influer sur l’environnement et être influencé par lui.

Mais être en vie, c’est aussi, d’une certaine façon, être posé là, « comme un oiseau sur la branche », oiseau qui -lui aussi- agit dans son environnement.

Exister, nous dit le philosophe Henri Maldiney, est rare. L’événement, ou pour être plus précis « l’évènement véritable » est moteur de l’existence, en ce sens que notre existence est mue, mise en mouvement, par une transformation opérante.

C’est parce qu’il y a transformation qu’il y a mouvement et non plus fixité, immobilité, pause, pose.

« L’existence est rare. Nous sommes constamment, mais nous n’existons que quelquefois, lorsqu’un véritable événement nous transforme. » (Henri Maldiney)

En quoi un évènement véritable peut-il être moteur d’une existence, et sommes-nous en mesure de nous y préparer, voire de l’anticiper ?

L’événement retentit suffisamment fort pour rompre l’immobile désinvolture de la quotidienneté, la routine : les construits mentaux, les habitudes, les repères, sont de nouveau soumis à la question, au doute, à l’angoisse, tout en inaugurant un rapport au monde à neuf.

Le philosophe Michel Onfray témoignage, comme suit, à propos de son expérience, enfant, à l’orphelinat de Giel :

« L’histoire de l’être s’écrit là, avec cette encre existentielle et cette chair qui se dérobe, ce corps qui enregistre animalement la solitude, l’abandon, l’isolement, la fin du monde. Arraché aux habitudes, aux rituels, aux visages connus, aux lieux intimes, je me retrouve seul dans l’univers, expérimentant l’infini pascalien et le vertige qui s’ensuit ». La puissance d’exister – Manifeste hédoniste, Michel Onfray, Editions Grasset – Biblio essais, n°4420, 2006. p.25

Qu’avons-nous ressenti lors d’une séparation, un deuil, un affrontement ? Qu’avons-nous ressenti face à l’inattendu, l’imprévisible, la peur ou la joie extrêmes ?

Si l’on se réfère à l’analytique existentiale du philosophe allemand Martin Heidegger, un des enjeux majeurs de l’existence humaine consiste dans le fait que l’homme a  à « avoir à être ».

L’être humain a à endosser, supporter et traverser les expériences de la vie tout en continuant à être, diffèrent, mais toujours lui-même aussi.

Ainsi ayant cette possibilité d’être et exister, car l’être humain est possibilités et choix, l’essence de l’homme réside -dans et par- son existence au regard de sa finitude.

Il est le seul être qui -en conscience- peut mourir ou bien penser sa mort.

De la même façon, il est aussi le seul être vivant pouvant penser son existence et sa vie.

Ainsi, nous ne pouvons pas nous préparer à l’impensable, l’événement véritable dont nous parle Maldiney, mais nous pouvons être conscients de cette singularité.

« (…) l’homme a un monde et il est dans le monde, tandis que la flore et la faune ne sont que haubanés dans les environnements qui les entourent respectivement. » Règles pour le parc humain – Une lettre en réponse à la Lettre sur l’humanisme de Heidegger, Peter Sloterdijk, Editions Mille et une nuit, n°262, 2000. p.24

Quelles sont les possibilités de l’existence humaine ?

Nul ne le sait, c’est la condition même de la liberté qui est sienne.

La grande difficulté consiste dans le fait même que toutes ces possibilités (en devenir) ne déclineront leur identité qu’à partir du passage, le « jeté » en elles, s’arrachant ainsi de la dimension simplement biologique de ce qui est.

Proverbe taoïste : « Tu cherches à passer par la porte, or il n’y a pas de porte. Mais tu ne le sais que quand tu as passé la porte. »

Les possibilités de l’existence humaine sont peut-être à resituer dans un contexte et des remises en question :

1.       Avons-nous un projet de vie ou bien avançons-nous à tâtons ?

2.       A quoi passe-t-on le temps dont nous disposons ?

3.       Que ne faisons-nous pas que nous aimerions pourtant pouvoir faire ?

4.       A quoi nous sert de reporter ce que nous devrions faire ?

5.       Qu’aurais-je fait dans de telles circonstances ?

Qu’est-ce qu’une expérience-première ?

« Devenir soi-même suppose que nous soyons touchés par ce sens métaphysique de la liberté, c’est-à-dire de la séparation. La prise en charge et la mise en œuvre d’un tel projet exige néanmoins plus que la simple reconnaissance d’un pouvoir de dissidence et d’affirmation de soi. (…) Nous parlons d’experience-premiere pour désigner le moment où la vie d’un individu bascule en le condamnant à se fonder
lui-même. »
Philippe Perrot, Devenir soi-même, Introduction a une philosophie de l’aventure, Editions HDiffusion Philosophie, 2016.

Je soutiens aussi pour ma part l’idée qu’une « expérience-première », qui n’est donc pas une « première expérience », se représente parfois plus d’une fois dans la vie d’une personne.

L’expérience est première lorsqu’elle initie un changement d’état profond obligeant un être à se dépasser, s’anéantir ou bien se transformer radicalement : c’est-à-dire se transformer depuis ses propres racines et fondements.

Les expériences premières sont, selon le philosophe Louis Lavelle, d’une grande importance car elles peuvent nous permettent de  » comprendre notre condition et déterminer ce que nous avons à faire de nous-mêmes ».

« Prendre conscience est un processus lent et sinueux, car nous sommes nous-mêmes complices de nos erreurs et de nos illusions. » Octavio Paz, La quête du présent (Discours de Stockholm), Paris, Gallimard, 1991.

Qu’est-ce qu’une prise de conscience ?

Une prise de conscience peut se reconnaitre d’une façon très singulière : il s’agit d’un type de vécu mental qui nous « dé-range », nous dérange parfois aussi ; c’est-à-dire une expérience de vécu intérieur qui nous décloisonne du vécu ordinaire, une rupture qui fait sens en nous par rapport au monde concerné sur lequel cette prise de conscience est observée.

Je prendrais l’exemple la prise de conscience de la mort qui fait irruption dans la vie.

Celle-ci peut nous amener à repenser la finitude de notre existence avec beaucoup d’intensité et, par extension, nous éclairer sur le fait que nous oublions constamment cette fin qui sera la nôtre en nous refugiant dans le quotidien de nos « affaires courantes », nos routines.

Avoir conscience de notre mort est certainement ce qui peut le plus nous conduire à mieux vivre notre vie : la vie n’étant pas l’opposé de la mort mais bien la distance parcourue entre l’apparition et la disparition d’un être sur le plan terrestre.

C’est bien souvent lorsque la mort d’un proche nous affecte que nous prenons pleinement conscience de la somme d’évitements cumulée par le ronronnement de la quotidienneté ou le désintéressement.

« Ce qui se profile à l’arrière-plan de l’expérience-première n’est en effet rien d’autre que la mort. Néanmoins il ne s’agit pas de mourir, mais de vivre autrement que nous avons vécu, c’est-à-dire en nous efforçant de nous fonder nous-même. » Philippe Perrot, Devenir soi-même, Introduction a une philosophie de l’aventure, Editions HDiffusion Philosophie, 2016.

Faire face aux épreuves de la vie en devenant soi-même.

Comment devenir soi-même ?

La première recommandation nous parvient des philosophes qui, depuis Descartes et même avant lui, nous conseillent de ne pas cesser de penser sur notre être.

En ce sens, tout ce qui nous détourne ou nous divertit nous éloigne de ce chemin : nous pouvons par exemple cesser de devenir nous-mêmes dès lors que nous consacrons tout notre temps à « regarder » les écrans qui campent nos vies.

La passivité physique et mentale est une des voies de la disparition de soi.

« Il y a un « moi immanent » qui ne cesse de penser, mais qui ne se soucie pas du fait qu’il pense et qui oublie au fur et à mesure ses pensées. Ce moi n’est pas seulement celui de l’enfant, il est aussi celui de l’adulte dans le cours de sa vie ordinaire. Mais, au-delà de ce moi, il y a un « moi transcendant » qui se surprend à penser et qui éprouve la mise en œuvre de cette pensée comme une aventure et un risque à courir. » Ibid., pp.155-156.

Nous sommes donc ici en présence d’une proposition contradictoire, une polarisation, qu’il s’agit de résoudre en une équation existentielle pouvant se transformer en adéquation existentielle : je m’éveille à moi-même, je deviens qui je suis en potentialités…

Pour le psychologue américain Abraham Maslow, « devenir le meilleur de soi-même » se conçoit dans une dynamique de contentement/mécontentement nourrissant un besoin de réalisation de soi basé sur une recherche d’authenticité et de vérité : suis-je vraiment heureux et comblé d’être qui je suis ?

« Un homme doit être ce qu’il peut être. Il doit être vrai avec sa propre nature. Ce besoin, nous lui donnons le nom d’accomplissement de soi. (…) c’est-à-dire la tendance de l’individu à devenir actualisé dans ce qu’il est. Cette tendance peut être formulée comme le désir de devenir de plus en plus ce que l’on est, de devenir tout ce que l’on est capable d’être. » Abraham Maslow, Devenir le meilleur de soi-même, Besoins fondamentaux, motivation et personnalité, Editions Eyrolles, 2008, pp.66-67

Être soi-même et devenir soi-même.

Il convient aussi de différencier, selon Philippe Perrot, le moi immanent du moi transcendant.

Par essence, le moi immanent serait toujours égal à lui-même dans sa manière d’être et de faire.

C’est comme s’il n’était « pas soumis aux effets du temps », nous précise l’auteur.

« Être soi-même » relèverait donc de cette forme de moi immanent qui fait, d’une certaine façon, barrage au doute existentiel et à la remise en question profonde.

Pour le philosophe Michel Henry, le moi immanent serait ainsi « indiffèrent à tout ce qui se déroule dans l’extériorité. »

« Il faut donc convenir que le moi qui s’exprime en parlant de son passé et de ses projets est bien le moi transcendant, autrement dit un moi libre et par conséquent un moi désireux de se fonder lui-même.

(…) Nous avons affirmé que c’est le rapport au temps qui distingue les deux moi. Dire que le moi immanent n’est pas concerné par l’écoulement du temps revient à dire qu’il est le moi d’une pensée pure, c’est-à-dire d’une pensée qui ne sort pas d’elle-même, qui n’a donc pas d’autre objet qu’elle-même et qui, en tant que telle, ne rencontre aucun obstacle. 

Nous faisons dans une certaine mesure l’expérience de cette pensée pure quand nous rêvons. Le rêve nous permet de jouir de l’extériorité sans avoir à l’affronter. Nous entrons dans un état ou, détachés de toute chose, notre pensée se livre aux fantasmagories de sa puissance propre, en toute liberté et en toute innocence ».
Philippe Perrot, Devenir soi-même, Introduction a une philosophie de l’aventure, Editions HDiffusion Philosophie, 2016.  pp.157-158

Ce que l’auteur désigne ici comme « pensée pure » est la nature d’une conscience mentale retournée sur elle-même : c’est-à-dire dans l’incapacité d’être altérée par l’extériorité.

Ceci correspond à « être soi-même » et le rester : ce qui n’est en rien péjoratif puisque dans certains moments ou contextes de notre vie, il est nécessaire et vital de pouvoir préserver le même état de conscience, dans la durée, sans être tenté par l’aventure ou la transcendance de soi.

A l’opposé, « devenir soi-même » va requérir de nous une acceptation de la confrontation avec l’extériorité,
c’est-à-dire l’altérité même la plus radicale.

Ce dépassement ne correspond en rien à l’acquisition d’un « super pouvoir », ou devenir un surhomme, mais bien l’acceptation de ne plus être tourné uniquement vers soi et ses habitudes d’être.

L’auteur nous rappelle ainsi, non sans raison, que cette distinction se joue dans un rapport au temps distinct : alors que l’être soi-même « s’enferme » dans un éternel présent qu’il entretient et contrôle, le devenir soi-même oscille entre un passé qu’il revisite et un futur qu’il explore.

Quel serait donc l’état du moi idéal qui pourrait nous préparer aux épreuves de la vie ?

Moi transcendantal ou désir ?

Rappelons que le moi immanent et le moi transcendant ne sont pas deux entités séparées et distinctes mais bien un seul et même ensemble mental dans une alternance de mouvements mentaux.

« Nous avons commencé dans l’unité avec nous-mêmes et cela tout simplement parce que nous avons été enfant avant d’être homme. (…) Et c’est donc bien sur le fond de cette unité, de l’unité indifférenciée d’un Soi anonyme et qui parait se suffire à lui-même, que prend naissance le moi transcendant. » Ibid., p.159

Un peu à la manière du naturel et du culturel, le moi immanent arrive en premier alors que la transcendance peut s’acquérir et se développer dans un second temps.

Chez certaines personnes, la balance penche toujours du côté de l’état immanent alors que pour d’autres la transcendance est le moteur premier.

« Au sens fort, le moi transcendant désigne le moi authentique que chacun s’efforce d’être dès lors qu’il a pris la mesure de son délaissement et qu’il se sent capable d’inaugurer son propre chemin. A la différence du moi immanent indéfini et anonyme et du moi collectif qui donne à ce dernier une forme concrète et visible, le moi transcendant authentique n’est qu’une figure possible qu’il appartient à ceux qui le peuvent de faire naitre et de projeter au-devant d’eux. » Ibid., p.160

Le moi transcendant, d’un point de vue philosophique, peut donc s’apparenter d’un point de vue psychologique au désir.

Ce que le l’auteur Philippe Perrot désigne, en revisitant le philosophe Descartes, comme une « marche forcée » (le cheminement des Méditations) n’est autre chose que le désir d’entreprendre, ou bien encore le désir de l’aventurier.

Affronter les épreuves de la vie.

Pour pouvoir affronter une épreuve de la vie, sans nous anéantir, nous devons accepter la rupture d’avec notre quotidienneté, nos habitudes de vie et notre confort existentiel.

L’acceptation de la situation est la voie requise pour la confrontation.

L’affrontement, quelque qu’il soit, est toujours à minima une situation dans laquelle se produit :

  1. Un changement de rythme des évènements, plus ou moins rapide et intense.
  2. Un déséquilibre de la personnalité, plus ou moins ample et profond.
  3. Une mise en péril, plus ou moins intégrale de l’identité de la personne.
  4. Un combat, plus ou moins létale.
  5. Une compréhension renouvelée.

Il s’agit du combat de la vie, pour la vie et par la vie : exister nécessite de combattre.

Cette forme d’acceptation de ce qui est en mouvement avec nous, au travers de cette situation singulière, va provoquer l’adéquation requise.

J’accepte donc je suis en phase avec ce qui est en devenir.

Après la phase d’acceptation de l’épreuve, vient un deuxième temps : je chemine et traverse l’épreuve.

L’arrivée au monde du nouveau-né est la première confrontation avec le monde : en tant que telle, elle représente la première expérience d’extériorisation de soi, pour le jeune être humain, et l’expérience première par excellence.

« Au-delà de notre moi immanent qui n’est que l’expression du s’éprouver soi-même de la Vie en nous, la prise de conscience de notre être séparé en tant qu’individu affronté à l’altérité du monde se traduit par la naissance d’un moi nouveau auquel nous nous attachons et nous nous identifions comme à notre moi propre. » Ibid., p.175

Par la suite, l’être humain devra, pourra, reproduire ce même élan d’extériorité : c’est le sens de la parole « exister ».

Pour affronter les épreuves de la vie, l’homme aura à exister : « (…) aller au-devant de lui-même. Exister pour le moi transcendant, c’est se choisir. »

C’est cette extériorisation de soi en adéquation avec l’épreuve qui permet de contourner la mauvaise foi chère au philosophe Jean-Paul Sartre et métamorphoser l’angoisse préexistante en possibilisations concrètes sur « fond de déracinement ».

 

Bibliographie recommandée :

  1. Philippe Perrot, Devenir soi-même, Introduction a une philosophie de l’aventure, Editions HDiffusion Philosophie, 2016.
  2. Michel Onfray, La puissance d’exister, Manifeste hédoniste, Editions Grasset – Biblio essais, n°4420, 2006.
  3. Abraham Maslow, Devenir le meilleur de soi-même, Besoins fondamentaux, motivation et personnalité, Editions Eyrolles, 2008.

A propos de l’auteur

Laisser un commentaire