Être sport

Norbert Macia – mardi 20 novembre 2012 – Société   


« Être sport  » par Norbert Macia

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Dans l’expression « être sport », il y a le mot sport qui proviendrait, selon Littré, d’un vieux mot français « desport », qui signifie « amusement ». Le sport est, précisément, selon la définition que nous livre le dictionnaire : « L’activité physique exercée dans le sens du jeu, de la lutte et de l’effort, et dont la pratique suppose un entraînement méthodique, le respect de certaines règles et disciplines ».

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Éducation & Sport

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« Être sport », faire du sport, c’est aussi par extension entraîner son corps et éduquer son esprit. Loin des attitudes prédatrices et destructrices des pratiques dopantes, l’athlète de 1896 ressemble parfois plus à un excentrique ou un illuminé qu’à une machine programmée sans foi, ni lois. Voici le témoignage du baron Pierre De Coubertin à propos de l’athlète grec Spiridon (premier champion olympique du marathon) : « Louys Spiridon était un magnifique berger, vêtu de la fustanelle populaire, et étranger à toutes pratiques de l’entraînement scientifique. Il se prépara par le jeûne et passa, dit-on, la dernière nuit devant les icônes parmi la clarté des cierges. Sa victoire fut magnifique de force et de simplicité » (1).

A cette époque, la notion de « performance », c’est-à-dire d’ « accomplissement », était bien plus une performance pour soi que contre les autres. « Être sport » se dit donc de quelqu’un de loyal, sans rancune, qui selon l’esprit du sport  fait preuve de fair-play. « Qui joue loyalement est toujours gagnant » (Fair play, the winning way). Voilà de quoi donner la nausée à Lance Armstrong, qui, comme tant d’autres, ont basculé de l’ »être sport » à l »‘avoir sport ». Et de citer en première ligne nos chers amis les footballeurs « professionnels » (…).

« Être sport », pour un sportif accompli (au sens noble du terme), c’est être fidèle à une éthique elle -même accordée aux valeurs sportives : « être sport », c’est être concerné par une morale qui, de l’entraînement jusqu’à la compétition, nous accompagne dans un état d’esprit ou un « mode de pensée » sains : c’est-à-dire non tenté par l’arrivisme, la cupidité ou la prédation. On voit alors, qu’ « être sport » est bien plus que la somme des heures de pratique d’une activité sportive ou le culte de la compétitivité.

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Amateurisme & Sport

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Cependant, lorsque l’on observe l’actualité et la réalité sportives, on constate bien malheureusement car cela s’impose tellement largement (que cela en devient abjecte) que l’éthique sportive semble s’être éloignée, voire perdue, du sens initial. Que signifie alors aujourd’hui « être sport » ?

L’amateurisme sportif originaire a laissé, progressivement, la place à une nouvelle forme de réalité: le professionnalisme doublé du culte de la compétition ou lorsque vaincre les autres est avant tout une affaire de prix à payer, mais aussi d’argent que l’on paye. Dans sa conception primaire (sport amateur) le sport se caractérise par le désintéressement et le jeu. Ces caractéristiques sont aujourd’hui remplacées par l’intérêt (politique et commercial) et la compétition.

La recherche du meilleur de soi qui colle à l’état d’esprit sportif, « Mens sana in corpore sano », est totalement incompatible avec l’intéressement et la compétition. Car,  si l’on admet que le « meilleur de soi » passe par la morale et le respect des règles et des autres, on ne peut que vomir le « business » actuel du sport. Ce qui est corrompu, chez le sportif qui se dope, c’est  avant tout sa propre morale. L’attitude la plus courante du dopé, pris la main dans le sac, est généralement le déni : « C’est pas moi, je ne comprends pas comment cette seringue est venue se planter dans mes fesses !»

Le dopage n’a pas que des conséquences dramatiques sur l’organisme, il détruit aussi l’âme. Les sportifs se dopent car le niveau de compétitivité et d’exigence est tel, qu’à vouloir rester dans le coup, au plus haut, tout le temps, les sportifs ne peuvent, tout comme les traders, que se doper (ou pas). Le « ou pas », cependant, ne dépend d’eux seuls. Il s’agit bine de tout un système en place auquel spectateurs, téléspectateurs, médias, sponsors, participent. Or, il n’y a rien de « meilleur en soi » à s’élever individuellement, aux dépens des autres, au dessus des règles qui fondent la communauté, et ce pour avoir l’artificielle sensation d’être touché par Dieu.

La présomption et le dopage font donc bon ménage dans un culte du spectaculaire. Elles sont le contraire de l’attitude juste et du fair-play qui fondent le sport. Durant les XIX° et XX° siècles, la révolution industrielle pose le cadre des avancées techniques, à venir, nécessaires à une société de consommation qui, depuis les années 1940-50 à nos jours, ne cesse de produire des besoins nouveaux.

Dans « être sport », il y a le véritable dépassement de soi qui est en jeu et qui est une affaire entre soi et soi : la performance prise en ce sens est accomplissement et intériorisation.

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Société et spectacle 

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Guy Debord avait raison, aujourd’hui tout est spectacle et tout est donné en spectacle (pour ne pas dire en pâture). Bienvenue dans l’ère de l’exhibitionnisme absolu et la négation du dehors et du dedans, du privé et du public. Le sport ne fait pas exception.

Bienvenue dans l’ère du grand guignolesque dans les pratiques sportives et sociales : courses à pieds et marathons déguisés, c’est en marche et sa passera mieux à la télé. C’est tellement plus bon enfant, plus rigolo (…).

Demandons-nous pourquoi certaines activités physiques et sportives ne sont pas autant « courues » par les télévisions (encore que, comme je le soulignais plus haut, cela ne durera pas car la récupération est déjà en marche) ? Ces activités qui ont beaucoup de mal à être récupérées par le média télévisuel, sont tout de même en passe de l’être au prix de stratégies de retransmission : aspects historiques ou géographiques des lieux où les événements se déroulent, portraits de sportifs pendant le déroulement des événements… qui viendront, tôt ou tard, faire la jonction avec les idées « géniales » de gentils organisateurs. Tout ce qui est possible d’imaginer afin de remplir le « vide » ou l’ « ennui »  (apparents) d’une expérience qui ne se prête pas facilement à la captation par l’image et est avant tout une expérience personnelle de « l’en-soi », peu médiatique, car non divertissante et pauvrement spectaculaire.

« Être sport », ce n’est pourtant pas se comporter comme un prédateur pervers ou comme Bozo le clown. Il suffit, pour s’en convaincre ou s’en souvenir, de revoir le très beau film de Hugh Hudson, Les chariots de feu, dont la bande-son (Vangelis) a accompagné, et accompagne encore, un très grand nombre de sportifs._

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Bibliographie recommandée_

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1. Le pouvoir des anneaux, Les jeux olympiques à la lumière de la politique 1896-2004 – Collectif sous la direction de Pierre Milza, François Jequier et Philippe Tétart, Collection Sciences, Corps, Mouvements, Éditions Vuibert, Paris, 2004

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Mise en ligne : 20 novembre 2012

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